AVIS DU GROUPE EUROPÉEN D’ÉTHIQUE DES SCIENCES ET DES NOUVELLES TECHNOLOGIES AUPRÈS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
Texte original en anglais
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ASPECTS ÉTHIQUES DES IMPLANTS TIC
Référence: avis élaboré à l’initiative directe du GEE
Rapporteurs: Prof. Stefano Rodotà et Prof. Rafael Capurro
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vu le traité sur l’Union européenne, et notamment l’article 6 de ses dispositions communes, relatif au respect des droits fondamentaux,
vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 152, relatif à la santé publique,
vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, du 28 septembre 2000, approuvée par le Conseil européen de Biarritz le 14 octobre 2000 et proclamée solennellement à Nice par le Parlement européen, le Conseil et la Commission le 7 décembre 2000, et notamment son article 1er «Dignité humaine», son article 3 «Droit à l'intégrité de la personne» et son article 8 «Protection des données à caractère personnel»1,
1 JO C 364 du 18.12.2000, pp. 1 à 22.
vu la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques2,
vu la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données3,
vu la directive 90/385/CEE du Conseil, du 20 juin 1990, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dispositifs médicaux implantables actifs4,
vu la Convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine, signée le 4 avril 1997 à Oviedo, et notamment son article 1er «Objet et finalité», son article 2 «Primauté de l’être humain», ses articles 5 à 9 sur le consentement et son article 10 «Vie privée et droit à l’information»5,
vu la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme adoptée par l'Unesco le 11 novembre 19976,
vu la Convention du Conseil de l’Europe, du 1er janvier 1981, pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel7,
vu la Déclaration de principes du Sommet mondial sur la société de l’information, du 12 décembre 2003, et notamment son point 58 sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) et son point 59 sur les utilisations abusives des TIC8,
vu les auditions d’experts et de services de la Commission organisées par le GEE le 15 décembre 2003, le 16 mars 2004 et le 15 juin 2004 à Bruxelles,
vu le rapport du Dr Fabienne Nsanze «ICT implants in the human body – A Review», février 20059,
vu la table ronde organisée par le GEE le 21 décembre 2004 à Amsterdam10,
vu l’audition des rapporteurs du GEE, le Prof. Stefano Rodotà et le Prof. Rafael Capurro,
2 JO L 201 du 31.7.2002, pp. 37 à 47. 3 JO L 281 du 23.11.1995, pp. 31 à 50. 4 JO L 189 du 20.7.1990, pp. 17 à 36. 5 http://conventions.coe.int/treaty/fr/treaties/html/164.htm 6 http://portal.unesco.org/shs/fr/ev.php-URL_ID=2228&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html 7 http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/108.htm) 8 http://www.itu.int/wsis/ 9 Joint en annexe au présent avis. 10 Compte rendu des débats de la table ronde «The ethical aspects of ICT implants in the human body» du 21 décembre 2004.
Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont partout. Jusqu’à présent, leur emprise sur notre quotidien a essentiellement pris la forme d’appareils que nous utilisons à des fins personnelles ou professionnelles, tels que PC ou ordinateurs portables, téléphones cellulaires, etc. Avec les dernières avancées technologiques, elles tendent cependant à devenir partie intégrante de l’individu, soit par le vêtement (wearable computing ou cyber-vêtement), soit par implantation dans le corps.
À première vue, les implants utilisant les TIC (ICT implants, ci-après «implants TIC») ne posent pas de problèmes éthiques – si l’on songe, par exemple, aux stimulateurs cardiaques. Toutefois, s’ils peuvent être utilisés pour pallier la déficience de certaines fonctions corporelles, ces implants TIC peuvent aussi être source d’abus, notamment lorsqu’il est possible d'y accéder par réseau informatique. Bien que, selon certains, ils offrent essentiellement le moyen de restaurer des capacités fonctionnelles endommagées, contribuant ainsi à la promotion de la dignité humaine, on pourrait même considérer qu’ils représentent une menace pour celle-ci et, en particulier, pour l’intégrité du corps humain (voir la section 5).
L’idée de se laisser implanter des dispositifs TIC sous la peau en vue non seulement de restaurer, mais aussi d’améliorer, certaines capacités fonctionnelles éveille des visions de science-fiction effrayantes et/ou prometteuses. Dans certains cas, l’implantation de micropuces se pratique pourtant déjà, avec le risque corrélatif de formes de contrôle de l’individu et de la société.
La relation intime entre fonctions corporelles et psychiques est fondatrice de l’identité personnelle. Les neurosciences modernes s’accordent à le souligner. Le langage et l’imagination influencent, de façon unique, notre perception de l’espace et du temps ainsi que de nous-mêmes et des autres, notre relation à autrui et à notre environnement naturel, la manière dont nous concevons nos sociétés sur le plan historique, culturel, politique, juridique, économique et technique, acquérons des connaissances sur nous-mêmes et le monde et créons, produisons et échangeons des biens.
Les technologies de l’information et de la communication sont le produit de l’esprit humain. Utilisant essentiellement des substances non biologiques comme le silicone, elles permettent d’exécuter un certain nombre de fonctions basées sur des programmes mathématiques ou des algorithmes. Certaines fonctions biologiques et psychiques peuvent ainsi être simulées11. Il est en outre possible, non seulement en théorie, mais aujourd’hui aussi dans la pratique, d’implanter des dispositifs TIC dans le corps humain, notamment pour restaurer certaines fonctions corporelles ou, dans le cas des prothèses et membres artificiels, remplacer certains organes ou certains membres.
Ce sont là les raisons essentielles pour lesquelles les implants TIC dans le corps humain, qu’ils existent déjà ou ne soient encore qu'envisagés, ont des implications majeures sur le plan éthique.
En conséquence, le présent avis vise essentiellement à susciter, dans ce domaine à évolution rapide, une prise de conscience et un questionnement sur les dilemmes éthiques posés par une série d’implants TIC. Si nous voulons avoir un impact approprié, et en temps utile, sur leurs diverses applications technologiques, le travail de sensibilisation et d’analyse éthiques doit avoir lieu maintenant. Le cas échéant, le présent avis pose des limites éthiques claires, énonce des principes juridiques et propose une série de mesures que devraient arrêter des législateurs européens conscients de leurs responsabilités. Il traite exclusivement des implants TIC dans le corps humain (voir la section 6.1).
Dispositif TIC: tout dispositif relevant des technologies de l’information et de la communication et contenant généralement une puce en silicone.
Dispositif médical actif: tout dispositif médical dépendant, pour son fonctionnement, d'une source d'énergie électrique interne et indépendante ou de toute autre source d'énergie que celle générée directement par le corps humain ou la pesanteur12.
Dispositif médical implantable actif: tout dispositif médical actif qui est conçu pour être implanté en totalité ou en partie, par une intervention chirurgicale ou médicale, dans le corps humain ou, par une intervention médicale, dans un orifice naturel et qui est destiné à rester après l'intervention13.
Implants TIC passifs: dispositifs TIC implantables dans le corps humain qui dépendent, pour leur fonctionnement, d’un champ électromagnétique externe (voir notamment la section 3.1.1. sur la puce «VeriChip»).
11 Il convient, à cet égard, de noter qu’il y a actuellement un vif débat sur la conception mécaniste du cerveau, dont il ne sera pas question dans le présent avis. 12 Définition tirée de la directive 90/385/CEE du Conseil sur les dispositifs médicaux implantables actifs. 13 Définition tirée de la directive 90/385/CEE du Conseil sur les dispositifs médicaux implantables actifs.
Implants TIC en ligne: implants TIC qui dépendent, pour leur fonctionnement d’une connexion («en ligne») à un ordinateur externe ou qui peuvent être interrogés («en ligne») par un ordinateur externe (voir notamment la section 3.1.2. sur les biocapteurs).
Implants TIC autonomes: implants TIC fonctionnant indépendamment d’appareils électroniques externes (éventuellement après une opération d’initialisation) (voir notamment la section 3.1.1. sur la stimulation cérébrale profonde).
(Voir le rapport détaillé du Dr Fabienne Nsanze «ICT implants in the human body – A Review», février 2005, joint en annexe au présent avis.)
La présente section contient des informations sur les dispositifs implantables dans le corps humain qui sont déjà commercialisés – au terme, pour certains, de recherches conduites sur des dizaines d’années.
L’histoire des dispositifs implantables en pratique clinique a commencé dans les années 1960, avec la fabrication des premiers stimulateurs cardiaques, qui suppléent au battement automatique du cœur. Ont suivi, dans les années 1980, des systèmes de stimulation vésicale permettant aux personnes atteintes de paraplégie (paralysie des membres inférieurs résultant souvent d’une lésion de la moelle épinière) de contrôler leur miction. Derniers exemples d’implants actifs produisant une stimulation électrique fonctionnelle, des stimulateurs sont utilisés pour soulager les patients atteints de tumeurs, atténuer les tremblements causés par la maladie de Parkinson et restaurer la fonction de préhension chez les personnes atteintes de quadriplégie (paralysie des bras, des jambes et du tronc en dessous de la lésion de la moelle épinière). Dans la liste des implants classiques, il convient de citer:
Les dispositifs à puce se présentent sous trois formes:
1) à lecture seule: il s’agit de la forme la plus simple de dispositifs à puce, similaire à celle aujourd’hui utilisée pour l’identification des animaux. Même ce procédé élémentaire a de nombreuses applications potentielles, par exemple le repérage des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, mineures ou inconscientes. Plus largement, il pourrait être utilisé comme une sorte de carte nationale d’identité, fonctionnant avec un numéro d’identification intégré à la puce;
2) à lecture/écriture: le type de puce utilisé contient une série d'informations, qui peut être complétée si nécessaire. La puce permet l’enregistrement de données et elle est programmable à distance. À supposer, par exemple, qu’elle contienne le dossier médical d’une personne et que ce dossier médical évolue, les informations correspondantes pourraient être ajoutées sans qu'il soit pour cela nécessaire de retirer l'implant. Les puces à lecture/écriture pourraient également faciliter et permettre l’enregistrement des transactions financières. Le troisième type d’informations importantes qu’elles pourraient contenir serait le casier judiciaire;
3) avec fonction de localisation: outre les fonctions de lecture/écriture décrites ci-dessus, certains dispositifs peuvent également émettre un signal radio localisable. Là encore, les applications potentielles sont nombreuses, comme en témoignent les technologies moins sophistiquées qui existent déjà. Les dispositifs avec fonction de localisation dépendent d’une source d’énergie qui devrait être miniaturisée pour rendre l’implantation possible. Avec un tel implant, un suivi constant deviendrait possible: si chaque puce implantée émettait un signal sur une fréquence d’identification unique, les porteurs pourraient être localisés par simple appel du bon signal. Le récepteur étant mobile, cette localisation serait partout possible.
Dans la liste des dispositifs classiques, il convient de citer:
Les applications pourraient en outre s’étendre à la sécurité des transports publics, à l’accès aux bâtiments ou installations sensibles et au suivi des personnes en liberté conditionnelle (anciens condamnés, criminels, etc.). Actuellement, le porteur doit se tenir à une courte distance d’un scanner pour que la puce soit «réveillée». Par conséquent, celle-ci ne permet de suivre ses déplacements qu’à proximité du scanner. Pour le moment, la puce VeriChip™ n’est donc pas un système implantable de positionnement par satellites.
• Les biocapteurs: les biocapteurs ou microsystèmes électromécaniques (MEMS, selon l’acronyme anglais) sont des capteurs implantés dans le corps humain pour un suivi précis de certaines parties inaccessibles. Organisés en réseau, ils contrôlent de manière collective l’état de santé de leur hôte. Cela va de la collecte de données sur des paramètres physiologiques comme la pression sanguine ou le taux de glucose à la prise de décisions fondées sur ces données (par exemple, le corps médical sera averti d’un éventuel risque pour la santé).
Les données à transmettre sont des informations médicales fondamentales qui, en vertu de la loi, doivent être protégées au regard de leur confidentialité. En conséquence, les technologies de l’information représentent une composante essentielle des implants biologiques concernés: en termes de recherche, de mémoire et de capacités de calcul, les enjeux pour la recherche sont importants.
Diverses applications biomédicales sont possibles. À titre d’exemple, on peut citer l’implantation de capteurs dans le cerveau de patients atteints de la maladie de Parkinson ou épileptiques, l’implantation d’un ensemble de capteurs acoustiques ou optiques à des fins d’analyse sanguine ou encore l’implantation de capteurs dans le corps de malades cancéreux en phase de guérison en vue de détecter les éventuelles cellules cancéreuses.
Même si les études réalisées sur le corps humain démontrent la faisabilité d’une telle utilisation des signaux cérébraux à des fins de commande et de contrôle d’appareils externes, les chercheurs soulignent que de nombreuses années de développement et de tests cliniques seront encore nécessaires avant que des dispositifs ad hoc – y compris les neuro-prothèses pour les personnes paralysées – ne soient disponibles.
Les informaticiens ont annoncé que, dans les vingt prochaines années, des interfaces neuronales seraient conçues qui non seulement augmenteraient la gamme dynamique des sens, mais amélioreraient aussi la mémoire et permettraient la «cyber-pensée» – c'est-à-dire la communication invisible avec les autres.
Sont notamment envisagés:
Parmi les autres applications potentielles des implants TIC, il convient de citer:
«La priorité TSI [Ndt: en matière de technologies de la société de l’information] du 6e programme-cadre (PC) poursuit … l'objectif d'assurer la prééminence de l'Europe dans les technologies génériques et appliquées qui sont au cœur de l'économie de la connaissance. Il vise à accroître l'innovation et la compétitivité des entreprises et des industries européennes et à contribuer à une augmentation du bien-être de tous les citoyens européens.
La priorité TSI dans le 6e PC se concentre sur les technologies de la prochaine génération, qui intégreront ordinateurs et réseaux dans l'environnement quotidien et rendront accessibles, par l'intermédiaire d'interfaces utilisateurs conviviales, une multitude de services et d'applications.
Cette vision de "l'intelligence ambiante" place l'utilisateur, l'individu, au centre des progrès futurs d'une société de la connaissance dont personne ne devra être exclu.14»
Développement de matériels et capteurs nanoscopiques et de microsystèmes pour implants médicaux destinés à améliorer l’état de santé et la qualité de vie
Ce projet prévoit le développement de microsystèmes fondés sur les technologies de la communication en vue, d’une part, d’introduire directement certaines informations dans le corps humain sous la forme d’implants médicaux et systèmes ambulatoires de mesure et, d’autre part, de transmettre d’autres informations à l’environnement extérieur. L’objectif global est de développer les technologies nécessaires à la fabrication d’un microsystème, puis de fabriquer des dispositifs médicaux spécifiques exploitant ces technologies. Au final, les dispositifs médicaux visés incluent implants cochléaires et rétiniens, systèmes de stimulation nerveuse, de contrôle vésical et de contrôle de la pression sanguine. Sur la base des statistiques disponibles, on estime qu’environ 50 % de la population occidentale, soit près de 500 millions de personnes, souffrira de l'un au moins des problèmes de santé ciblés par le projet.
Le projet OPTIVIP (Optimization of the Visual Implantable Prosthesis)
Le projet OPTIVIP poursuit deux objectifs: l’optimisation d’une prothèse visuelle implantable fondée sur la stimulation du nerf optique et la démonstration de son fonctionnement dans le cadre d’une étude préclinique.
Les questions éthiques sont ici examinées dans le cadre de tâches-projet spécifiques, dont le but est de recueillir les réactions de la communauté des aveugles, et notamment des patients et de leurs représentants. Divers aspects de la prothèse (fonctionnement, apparence, éthique) sont couverts, ce qui est essentiel pour orienter les efforts de recherche en fonction des besoins réels.
Le caractère nouveau des questions abordées dans le présent avis rend difficile l’édiction de règles spécifiquement applicables aux dispositifs TIC implantables dans le corps humain. Le cadre juridique devrait, par conséquent, découler des principes généraux sous-tendant les législations nationales et les instruments de droit international en vigueur. Ces principes généraux peuvent, en effet, nous fournir les orientations dont nous avons besoin pour définir dans leurs grandes lignes les normes juridiques nécessaires à la réglementation d’une technologie qui, du fait qu’elle modifie le corps
14 Priorité TSI du 6e programme-cadre pour 2003 et 2004: http://www.cordis.lu/ist/workprogramme/fr/2_2.htm
humain et sa relation à son environnement, a un profond impact sur l’identité personnelle et sur la vie. Ils sont énoncés dans des textes portant sur différents thèmes: de la bioéthique au traitement électronique des informations, des limites au consentement à la définition des dispositifs médicaux.
Pour ce qui concerne le cadre juridique européen, il convient d’attacher une importance particulière à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, aujourd’hui intégrée à la partie II du traité établissant une Constitution pour l’Europe. Cette charte consacre les principes généraux de dignité, de liberté, d’égalité, de solidarité, de citoyenneté et de justice, ainsi que d’intégrité et d’inviolabilité de la personne, en mettant notamment l’accent sur le consentement éclairé (article 3) et la protection des données à caractère personnel (article 8). Les questions de protection des données à caractère personnel sont développées dans les directives 95/46/CE et 2002/58/CE. Par ailleurs, l’article 174 du traité CE et, de façon plus détaillée, la communication de la Commission du 2 février 2000 (COM(2000)1 final)15 font expressément référence au principe de précaution. Enfin, les dispositifs médicaux actifs sont définis et réglementés par la directive 90/385/CEE.
Parmi les instruments de droit international, la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine adoptée par le Conseil de l’Europe en 1997 et la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme adoptée par l’Unesco la même année sont particulièrement importantes, au regard notamment du respect de la dignité et de l’intégrité de la personne et du principe du consentement éclairé. Des orientations importantes sont également fournies par les points 58 et 59 de la Déclaration de principes du Sommet mondial sur la société de l’information, qui soulignent la nécessité de veiller à ce que l’utilisation des TIC soit toujours respectueuse des droits de l'homme et de la vie privée.
Les chartes constitutionnelles et législations nationales contiennent également des dispositions relatives au respect de la dignité humaine, à la protection de l’intégrité physique et de la santé et au consentement éclairé, ainsi qu’en matière de transplantation.
Enfin, un certain nombre de décisions administratives et judiciaires traitent directement ou indirectement des questions examinées dans le présent avis, tels l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 12 octobre 2004 dans l’affaire C-36/02, Omega/Oberbürgermeister16 et l’ordonnance rendue par la Food and Drug Administration américaine concernant les tests de la puce VeriChip à des fins d’applications médicales.
15 http://europa.eu.int/comm/dgs/health_consumer/library/pub/pub07_fr.pdf 16http://curia.eu.int/jurisp/cgi-bin/form.pl?lang=fr&Submit=Rechercher&alldocs=alldocs&docj=docj&docop=docop&docor=docor&docjo=docjo&num aff=C-36%2F02&datefs=&datefe=&nomusuel=&domaine=&mots=&resmax=100
Au total, il est possible de tirer de ces instruments un certain nombre de principes sur lesquels asseoir le cadre juridique et à l’aune desquels la légalité des implants TIC dans le corps humain pourrait être appréciée.
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne énonce, en tout premier lieu, le principe de la dignité humaine. Son article 1er dispose que «la dignité humaine est inviolable». Inspirée de la Loi fondamentale allemande, cette disposition est également conforme à la déclaration contenue dans le préambule de la charte, selon laquelle l’Union «place la personne au cœur de son action». Ce principe a été consacré comme limite absolue dans l’arrêt Omega, par lequel a été jugée légale la décision des autorités allemandes interdisant un jeu appelé «Jouer à tuer», considéré comme «mena(çant) l'ordre public … du fait que, selon la conception prévalant dans l'opinion publique, l'exploitation commerciale de jeux de divertissement impliquant la simulation d'actes homicides porte atteinte à une valeur fondamentale consacrée par la constitution nationale, à savoir la dignité humaine».
L’importance de cet «affront à la dignité humaine» est telle qu’elle légitime non seulement une interdiction restreignant la liberté d'entreprise, mais fixe encore une limite à la liberté de choix individuelle, en excluant que le consentement éclairé du joueur puisse être considéré comme suffisant pour faire du jeu en cause un objet socialement et légalement acceptable. Il conviendrait ainsi de considérer le principe de la dignité humaine comme un instrument permettant de déterminer les cas dans lesquels le corps humain est absolument «inviolable».
Dans la jurisprudence allemande bien connue relative à la loi sur le recensement, il est dit précisément que «la valeur et la dignité de la personne, en tant que membre autodéterminé d’une société libre, sont au cœur de l’ordre institutionnel» (arrêt du Bundesverfassungsgericht du 15 décembre 1983). Cette affirmation est conforme aux orientations clairement énoncées en préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ainsi qu’à son article 1er, qui fait expressément référence à la dignité comme composante essentielle de l’être humain et comme condition de sa liberté et de l’égalité des droits. S’agissant des expériences constitutionnelles plus récentes, il suffira de mentionner l’article 16 du Code civil français ou l’article 2 du Code italien relatif à la protection des données, qui font aussi expressément référence à la dignité. Il en va de même d’instruments de droit international comme la Déclaration d’Helsinki (1964), la Convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine (1997), qui réaffirme en tout premier lieu le principe de la dignité humaine, et la Déclaration universelle de l’Unesco sur le génome humain (1997). Enfin, l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000) dispose que «la dignité humaine est inviolable» et qu’«elle doit être respectée et protégée».
On peut en conclure que la dignité est une valeur universelle, fondamentale et incontournable, même s’il faut toujours la replacer dans son contexte culturel spécifique. Aujourd’hui, cette conclusion est étayée par le fait que le terme revient avec une fréquence toujours accrue dans les instruments adoptés par les organisations internationales représentatives de toutes les cultures mondiales, comme l’Unesco (de fait, il apparaît quinze fois dans la Déclaration universelle sur le génome humain). De ce point de vue, la dignité est appelée à devenir un concept interculturel. Il ne faut cependant pas oublier que les références au terme sont aussi teintées d’ambiguïté: celui-ci est employé aussi bien pour exprimer la nécessité d’un respect absolu de l’autonomie et des droits de la personne que pour justifier une volonté de contrôle des individus et de leur comportement au nom de valeurs qu’on entend imposer à d’autres. En outre, l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux dispose que la dignité doit non seulement être «respectée», mais aussi «protégée» – selon le modèle de la Loi fondamentale allemande. Autrement dit, les autorités publiques sont tenues non seulement de s’abstenir d’intervenir dans la vie privée des individus, mais aussi de prendre activement toute mesure nécessaire pour créer les conditions qui leur permettront de vivre dans la dignité.
Le principe d’inviolabilité du corps humain et d’intégrité physique et psychologique, tel qu’énoncé à l’article 3 de la Charte des droits fondamentaux, exclut toute activité susceptible de compromettre tout ou partie de cette intégrité – même avec le consentement du sujet. Selon la définition qu’en donne l’OMS, «la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité». La réalité dont il est ici question est cependant différente, puisque l'intégrité n'est pas considérée comme absolument inviolable – la notion d’inviolabilité renvoyant aux interventions causant une «diminution permanente» des fonctions corporelles (conformément à l’article 5 du Code civil italien) ou contraires à l’ordre public et/ou à la morale.
Ceci s’applique notamment au cadre régissant l’appréciation de la légalité des dons d’organe, qui est limitée aux cas de perte d’une fonction corporelle essentielle. On pourrait être amené à en conclure qu'il convient de ne pas se référer au principe d'intégrité lorsque des fonctions corporelles sont effectivement restaurées et/ou améliorées. Par ailleurs, la liberté d’user de son corps est spécifiquement limitée par les nombreuses dispositions en vertu desquelles il est interdit de faire du corps humain et de ses parties et/ou produits une source de profit (article 3 de la Charte des droits fondamentaux; article 21 de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine; article 4 de la Déclaration universelle de l'Unesco). Une interprétation large de ces principes de non-commercialisation et de non-instrumentalisation pourrait pousser à conclure que l’implantation de dispositifs TIC à des fins qu’on pourrait généralement qualifier de mercantiles (par exemple, l’accès à une discothèque à des conditions préférentielles) ne devrait pas être autorisée (voir la section 6.4).
L’idée selon laquelle les individus ne sont pas libres de faire n’importe quel usage de leur propre corps est confirmée, quoique indirectement, par l’article 8, paragraphe 2, de la directive 95/46/CE relative à la protection des données à caractère personnel. Selon cette disposition, l’État peut prévoir que le consentement exprès d’une personne ne suffit pas pour permettre à un tiers d’utiliser les «données sensibles» la concernant – sur sa vie sexuelle, ses opinions, sa santé, son origine ethnique –, mais doit être assorti d’une autorisation ad hoc délivrée, par exemple, par une autorité de surveillance (voir l’article 26 du Code italien relatif à la protection des données à caractère personnel). L’objectif est de protéger la partie la plus sensible du «corps électronique» en empêchant la personne concernée d’y donner elle-même un accès susceptible de compromettre son intégrité.
D’un point de vue plus général, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a établi une distinction entre le respect de la vie privée et familiale (article 7) et la protection des données à caractère personnel (article 8), devenu en conséquence un droit individuel distinct. On a ainsi affaire à un type de protection qui, d’une part, s'oppose à toute intrusion dans la sphère privée et, d'autre part, confère à chaque individu le droit à l'autodétermination informationnelle – y compris le droit de rester maître des informations le concernant. C’est là un véritable cas de «constitutionnalisation de l’individu», qui impose le respect du corps tant physique qu’électronique. Plus spécifiquement, la protection des données à caractère personnel est fondée, dans l’Union européenne, sur la directive 95/46/CE17 et la directive 2002/58/CE18. Cette dernière directive contient également des dispositions concernant spécifiquement la localisation des individus. L’ensemble de principes et de règles applicables à la protection des données à caractère personnel est actuellement partagé par tous les États membres de l’Union européenne
17 Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, JO L 281 du 23.11.1995, pp. 31 à 50. 18 Directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques), JO L 201 du 31.7.2002, pp. 37 à 47.
ainsi que par plusieurs autres États qui – du Canada à l’Australie, du Japon à nombre de pays d’Amérique latine – ont avalisé une norme élevée en la matière prévoyant, avant toute chose, la fourniture d’informations détaillées à la personne concernée, assortie de son consentement explicite. Par conséquent, tout type d’implant TIC devrait préalablement faire l’objet d’une évaluation stricte visant à apprécier son impact sur la vie privée.
Le principe de précaution n’impose pas la définition de limites ou d’interdits absolus. C’est un instrument général de gestion des risques, initialement restreint aux questions environnementales. Dans sa communication de février 2000, la Commission souligne: «Le principe de précaution n'est pas défini dans le Traité, qui ne le prescrit qu'une seule fois – pour protéger l'environnement. Mais, dans la pratique, son champ d'application est beaucoup plus vaste, plus particulièrement lorsqu'une évaluation scientifique objective et préliminaire indique qu'il est raisonnable de craindre que les effets potentiellement dangereux pour l'environnement ou la santé humaine, animale ou végétale soient incompatibles avec le niveau élevé de protection choisi pour la Communauté» (résumé, paragraphe 3). La Commission estime en conséquence que «le principe de précaution est un principe d'application générale» (section 3), dont la portée dépasse l’Union européenne – comme en témoignent plusieurs instruments de droit international, à commencer par la Déclaration sur l'environnement et le développement, adoptée à Rio de Janeiro en 1992.
Les conditions préalables fondamentales pour l’application du principe de précaution sont l’existence d’un risque, la possibilité d’un dommage et une incertitude scientifique concernant la survenance de ce dommage. Une fois le principe de précaution invoqué, il incombe au gestionnaire du risque de décider de mesures préventives qui soient proportionnées à l’objectif d’atténuation du dommage potentiel, sans viser à créer une situation de «risque zéro». Les mesures de gestion du risque doivent servir à déterminer le «niveau de risque acceptable» au regard des valeurs en jeu – le respect du corps humain étant incontestablement l'une des valeurs appelant le plus haut degré de protection juridique. Cependant, même s’il procède d’exigences fondamentales, le principe de précaution relève plus d’une question «de forme» que «de fond». En d’autres termes, il n’est pas appliqué pour évaluer une innovation en soi, mais pour en apprécier les effets. En l’absence d’effets négatifs constatés, ou si les dispositifs de mise en œuvre sont modifiés, une innovation scientifique ou technologique donnée peut être jugée acceptable. Le principe de précaution est donc un outil dynamique, qui permet de suivre l’évolution d’un secteur et de vérifier en permanence que les conditions d’acceptabilité de telle ou telle innovation restent remplies – renforçant ainsi la gouvernance de ce qu'il est convenu d’appeler «la société du risque».
Les risques inhérents aux implants TIC ont été soulignés par la Food and Drug Administration américaine dans l’ordonnance qu’elle a rendue sur la puce sous-cutanée «VeriChip»: «réaction tissulaire; migration du transpondeur implanté; sécurité des informations compromise; défaillance du transpondeur implanté; défaillance de l’applicateur; défaillance du scanner électronique; perturbations électromagnétiques; risques électriques; incompatibilité avec l’imagerie par résonance magnétique; et blessure par l’aiguille». Au vu d’une liste aussi détaillée de risques potentiels, on peut s'étonner que les tests en vue d'un usage médical aient été autorisés! Une telle autorisation aurait peut-être été refusée si le principe de précaution avait été appliqué à ces risques à haut degré d’incertitude.
Il convient également d’attacher une importance particulière aux principes de minimisation des données, de spécification de la finalité, de proportionnalité et de pertinence. Ces principes n’intéressent pas la légalité de l’utilisation des différentes TIC, mais plutôt les conditions spécifiques de cette utilisation – c’est-à-dire le contexte dans lequel les TIC sont utilisées.
Il est expressément fait référence au principe de minimisation des données à l’article 16, paragraphe 2, du Code civil français par exemple, qui dispose qu’«il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité pour la personne». Objectivement, cela signifie qu’il ne faudrait recourir à un instrument donné que si l’objectif poursuivi ne peut être atteint par un moyen moins «invasif». On retrouve essentiellement là le principe de «minimisation» énoncé dans les dispositions d’un certain nombre de lois sur la vie privée, telles que l'article 3, point a), de la Bundesdatenschutzgesetz allemande ou l’article 3 du Code italien relatif à la protection des données. Subjectivement, le principe de minimisation des données postule l’existence d’un état de santé auquel il ne peut être remédié sauf recours à un instrument spécifique, qui se révèle indispensable.
Le principe de spécification de la finalité suppose de sélectionner les objectifs à atteindre. Par exemple, la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine dispose qu’il ne peut être procédé à des tests prédictifs de maladies génétiques «qu'à des fins médicales ou de recherche médicale» (article 12). Fondamentalement, une relation est ainsi établie entre circonstances spécifiques, instruments disponibles et valeurs de référence: seuls les instruments qui, dans un contexte donné, répondent au critère de compatibilité avec ces valeurs peuvent être légalement utilisés.
Le principe de proportionnalité est également fondé sur la relation entre l’instrument à utiliser et l’objectif poursuivi. Ici, l’accent n’est toutefois pas mis sur la nature de l'objectif en question, mais sur le caractère proportionné de l'instrument mis en œuvre. Autrement dit, même si l'objectif est en soi légitime, il ne peut être poursuivi par le recours à un instrument disproportionné. En fait, la communication susmentionnée de la Commission lie expressément les principes de précaution et de proportionnalité lorsqu’elle indique: «une interdiction totale peut ne pas être dans tous les cas une réponse proportionnée à un risque potentiel. Cependant, dans certains cas, elle peut être la seule réponse possible à un risque donné.»
Quant au principe de pertinence, expressément énoncé à l’article 6 de la directive 95/46/CE, il peut aussi être appliqué aux implants TIC. Selon ce principe, une technologie donnée peut être légalement utilisée dès lors qu’elle entretient un rapport étroit et sans ambiguïté avec la situation considérée. L’idée est de prévenir les abus et/ou les applications inappropriées des technologies existantes.
En définitive, tous ces principes se complètent: une fois établie l’existence d’un objectif légitime justifiant l'utilisation d'un implant TIC, il convient de déterminer si cet implant est effectivement nécessaire et si les instruments utilisés (ou à utiliser) sont pertinents et proportionnés.
Les limites qu’il convient d’imposer aux implants TIC dans le corps humain, telles qu’elles découlent de l’analyse des principes contenus dans différents instruments juridiques, doivent en outre être évaluées à l’aune des règles et principes généraux concernant l’autonomie de l’individu, dans le sens – ici – de la liberté de disposer de son corps (pour citer un slogan bien connu: «je suis maître de mon corps»), de la liberté de choix concernant sa propre santé et de la liberté par rapport à tout contrôle ou à toute influence externe.
Concernant la liberté de disposer de son corps, les considérations relatives aux principes d’intégrité et d’inviolabilité restent valables – eu égard, notamment, à l’exigence de consentement. En réalité, le consentement est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour légitimer l’utilisation d’un implant – qui, dans tous les cas, ne devrait jamais avoir lieu contre le gré et/ou à l’insu de la personne concernée.
Pour ce qui est de la liberté de choix en matière de santé, le patient a toujours le droit de s’opposer à un implant ou de se le faire retirer si l'opération est techniquement possible – sans préjudice de l'exigence de consentement éclairé, ni du droit de refuser un traitement médical.
Quant à la liberté par rapport à tout contrôle ou à toute influence externe, la question de l'autonomie de l’individu revêt une importance particulière au regard du droit d’exclure tout conditionnement ou tout exercice d’une influence sur le comportement d’une personne par des entités gérant des liens électroniques – dès lors que ceux-ci aboutissent à une connexion permanente avec des entités externes. Même en l’absence de connexion permanente de ce type, il convient de tenir compte du fait que les implants TIC peuvent permettre:
a) la localisation occasionnelle ou continue des porteurs;
b) la modification à distance, à leur insu, des informations qui y sont contenues.
Ces risques vont très certainement se renforcer avec l’adoption de normes techniques harmonisées, qui pourraient permettre à d’autres entités que les porteurs et les organes gérant légalement le dispositif ou la connexion concerné(e) de lire et de modifier les données. Ces deux cas de figure sont clairement contraires aux règles de protection des données relatives à la collecte et au traitement des informations. En particulier, toute «réécriture» des données a un impact sur le droit au respect de l’identité personnelle, expressément reconnu par l’article 1er de la directive 95/46/CE.
Pour ce qui concerne le cadre juridique, il convient de noter que: Eu égard à ces considérations, on pourrait conclure que, dans les circonstances actuelles, nombre de dispositifs TIC implantables dans le corps humain, qu’ils existent déjà ou ne soient encore qu'envisagés, ne sont pas admissibles sur le plan légal, sous réserve des cas exceptionnels exposés ci-dessous (voir la section 6.4.6).
a) | l’existence d’un risque sérieux reconnu, bien qu’incertain, inhérent même aux formes les |
plus simples de dispositifs TIC implantables dans le corps humain, rend nécessaire | |
l’application du principe de précaution. À cet égard, il convient en particulier de distinguer | |
implants actifs et passifs, réversibles et irréversibles, hors ligne et en ligne; | |
b) | le principe de spécification de la finalité commande d'opérer au moins une distinction entre |
applications médicales et non médicales. Mais les applications médicales devraient, elles | |
aussi, faire l’objet d’une évaluation stricte et sélective, visant notamment à empêcher | |
l’invocation de la finalité médicale comme un moyen de légitimer d’autres types | |
d’applications; | |
c) | en vertu du principe de minimisation des données, il convient de ne pas légaliser les |
implants TIC visant exclusivement à permettre l’identification des porteurs, dès lors | |
qu’existent des substituts moins invasifs et tout aussi sûrs; |
d) | en vertu du principe de proportionnalité, il convient de ne pas légaliser les implants TIC |
visant exclusivement, par exemple, à faciliter l’accès à des locaux publics; | |
e) | en vertu du principe d’intégrité et d’inviolabilité du corps humain, le consentement de la |
personne concernée n’est pas suffisant pour permettre le recours à tout type d’implant; | |
f) | le principe de dignité proscrit toute transformation du corps humain en un objet susceptible |
d’être manipulé et contrôlé à distance – soit en une simple source d’informations. |
Notre société contemporaine est confrontée à des changements qui touchent à l’essence anthropologique des individus. Un changement progressif est à l’œuvre: après leur mise en observation par vidéosurveillance et biométrie, les individus sont modifiés par divers dispositifs électroniques, comme les puces sous-cutanées et les RFID, qui tendent de plus en plus à leur mise en réseau. À terme, ils pourraient donc se trouver connectés en permanence et reconfigurés, de façon à transmettre ou à recevoir des signaux permettant un traçage et une détermination de leurs mouvements, de leurs habitudes et de leurs contacts. Il est certain qu’une telle évolution modifierait l’autonomie des individus, sur le plan tant théorique que réel, et porterait atteinte à leur dignité.
Parallèlement à cette érosion toujours plus grande des prérogatives individuelles (qui va jusqu’à la transformation du corps humain), une attention croissante est toutefois portée à la question de la dignité, sans oublier le fait, déjà mentionné, que la personne est au cœur de l’ordre constitutionnel (voir le préambule et les articles 1er, 3 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la partie du présent avis consacrée au cadre juridique, sections 4.2 et 4.4).
Comme le soulignent les précédents avis du GEE, un certain nombre de conventions, de déclarations et de chartes reconnues en Europe ainsi que la section du présent avis consacrée au cadre juridique (section 4), les principes fondamentaux sont la dignité et l'intégrité de l'être humain. De ces principes fondamentaux découle un ensemble de principes dérivés (énoncés ci-dessous), pertinents dans le cadre du présent avis et étroitement corrélés les uns aux autres.
Dignité humaine (voir également la section 4.2)
Le traité établissant une Constitution pour l’Europe19, qui dispose que «la dignité humaine est inviolable» et qu’«elle doit être respectée et protégée» (article II-61), explique plus avant à cet égard que «la dignité de la personne humaine n'est pas seulement un droit fondamental en soi, mais constitue la base même des droits fondamentaux» (déclaration concernant les explications relatives à la Charte des droits fondamentaux). L’explication ci-dessus ne définissant toutefois pas la dignité humaine au sens strict, plusieurs auteurs ont tenté de combler cette lacune. Selon l’un d’entre eux20, la dignité humaine pourrait être définie comme «le haut statut moral que chaque être humain possède de façon unique. La dignité humaine est une réalité donnée, inhérente à l’essence humaine et qui ne dépend pas de capacités fonctionnelles variables en degré. (…) La possession de la dignité humaine entraîne certaines obligations morales immuables. Ces obligations incluent, pour ce qui est du traitement à réserver à tous les autres êtres humains, le devoir de préserver la vie, la liberté et la sécurité d'autrui et, envers le monde animal et la nature, une responsabilité de bonne administration».
Est ainsi planté le cadre essentiel dans lequel s’inscrivent les principes éthiques dérivés énoncés ci-après, qui sont directement pertinents pour le présent avis sur les implants TIC:
19 JO C 310 du 16.12.2004, pp. 1 à 482. 20 William Cheshire, Ethics & Medicine, Volume 18:2, 2002.
6.5.1 notamment).
5.2. Conflits de valeurs
Il pourrait y avoir un conflit entre la liberté de chacun d’utiliser ses propres ressources économiques pour se faire implanter un dispositif de nature à améliorer ses capacités physiques et mentales et ce que la société dans son ensemble juge souhaitable ou acceptable sur le plan éthique. Un autre conflit de valeurs pourrait opposer le fait de limiter la liberté des individus dangereux en les soumettant à une surveillance et le renforcement de la sécurité des autres. La liberté des chercheurs pourrait entrer en conflit avec l’obligation de préserver la santé des personnes sujets de leurs recherches. Il pourrait en aller de même du souci de compétitivité économique et de la défense d'autres valeurs économiques (comme la croissance) par rapport au respect de la dignité humaine. Enfin, la liberté illimitée de certaines personnes pourrait mettre en péril la santé et la sécurité d’autres personnes. Il convient donc de trouver un juste équilibre entre des valeurs toutes légitimes dans notre culture.
Comme dans d’autres domaines, le principe de liberté lui-même – en l’occurrence, la liberté de se faire implanter un dispositif TIC dans le corps – pourrait se heurter au risque de conséquences sociales négatives. Dans ce cas, l’intervention de conseillers éthiques et un débat social et politique pourraient se révéler nécessaires.
21 Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, JO C 364 du 18.12.2000, pp. 1 à 22. 22 Principe de précaution: article 174 de la version consolidée du traité instituant la Communauté européenne et communication de la Commission sur le recours au principe de précaution (COM(2000)1 final du 2 février 2000).
La frontière entre réparer et améliorer n'est pas nette (même s’il existe des exemples clairs des deux types d’applications). Il est néanmoins nécessaire de légiférer si l’on veut éviter une situation dans laquelle la société deviendrait de plus en plus dépendante d’une technologie aussi intrusive que les implants TIC pour assurer sa sécurité, alors même que, de par leur perfection technique, ceux-ci pourraient avoir toutes sortes d’applications médicales utiles, ainsi que des applications sociales légitimes. En conséquence, le GEE souligne la nécessité d’un débat global et continu sur les types d’améliorations des capacités fonctionnelles qui devraient être autorisés – à quelles conditions et dans quels cas (voir la section 6.4.4).
Un exemple particulier, qui remet en cause l’opinion selon laquelle il existe une norme générale d’évaluation des capacités fonctionnelles de l’être humain, est celui des implants cochléaires chez les enfants sourds. Les efforts déployés pour promouvoir cette technologie posent des questions éthiques quant à son impact sur le porteur de l’implant et sur la communauté des sourds (notamment ceux qui communiquent par langue des signes). Ils ignorent le problème de l'intégration sociale du porteur de l’implant dans cette communauté et ne prêtent pas une attention suffisante aux incidences psychologiques, linguistiques et sociologiques. Avant toute chose, ils promeuvent une vision particulière de la «normalité». Du point de vue du GEE, la question des implants cochléaires elle-même, l’analyse risques/avantages et le problème de l’accès équitable aux soins doivent être encore approfondis (sans oublier la distinction entre implants cochléaires unilatéraux et bilatéraux).
5.3. Quelques lacunes importantes dans la connaissance des implants TIC dans le corps humain
Il ressort clairement des sections précédentes que la connaissance des implants TIC présente encore des lacunes majeures, qui intéressent autant les futurs programmes de recherche qu’elles soulèvent des questions éthiques fondamentales. Ces lacunes sont notamment les suivantes:
Dignité, intégrité et autonomie de l’être humain
• Un être humain cesse-t-il d’être « humain » lorsque certaines parties de son corps – notamment au niveau du cerveau – sont remplacées et/ou complétées par des implants TIC? En particulier, dès lors que les implants TIC peuvent servir à une «mise en réseau des individus», qui seraient ainsi connectés en permanence et pourraient être reconfigurés de façon à transmettre ou à recevoir des signaux permettant le traçage et la détermination de leurs mouvements, de leurs habitudes et de leurs relations, la dignité humaine pourrait se trouver affectée.
Vie privée et surveillance
Amélioration des capacités fonctionnelles et conscience
Aspects sociaux
Prévisibilité des risques
• Dans quelle mesure pouvons-nous nous prononcer aujourd’hui sur les avantages et les risques présentés par les implants TIC?
Implants TIC pour lesquels une prudence particulière s’impose
5.4. Précédents avis pertinents du GEEAvis n° 14 sur les aspects éthiques du dopage dans le sport
Dans son avis n° 14, le GEE déclarait: «Il est urgent, dans le cadre des politiques sportives, de mieux tenir compte des profonds changements qui ont eu lieu au cours de ce siècle en raison de l’impact économique et médiatique croissant du sport à l’échelle mondiale. Ces facteurs ont favorisé la médicalisation et le recours aux technologies de pointe dans le sport ainsi que le développement des industries qui lui sont connexes. Ceci explique que des pressions de plus en plus fortes pèsent sur les athlètes. C’est pourquoi il importe de resituer la lutte antidopage dans le contexte actuel en prenant acte qu'aujourd'hui, la performance et la victoire sont ressenties comme biens plus importantes que le seul fait de participer à une compétition. Face à cette situation, le Groupe entend mettre l’accent sur la tension qui existe entre la lutte antidopage et la recherche de performances toujours à dépasser.»
On peut aisément établir un parallèle entre le dopage dans le sport et les implants TIC, notamment ceux qui visent à améliorer les capacités fonctionnelles.
Avis n° 17 sur les aspects éthiques de la recherche clinique dans les pays en développement
La plupart des recommandations formulées par le GEE dans son avis n° 17 sur les aspects éthiques de la recherche clinique dans les pays en développement sont pertinents dans le cadre du présent avis, pour ce qui concerne les essais cliniques sur les implants TIC. Ces recommandations sont d’autant plus importantes que les dispositifs médicaux ne sont pas couverts par la directive 2001/20/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 avril 2001, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d'essais cliniques de médicaments à usage humain23.
5.5. Questions éthiques générales relatives aux implants TIC dans le corps humain
Dans de précédents rapports et avis, notamment «Droits des citoyens et nouvelles technologies: un défi lancé à l'Europe» (23 mai 2000) et «Aspects éthiques de l'utilisation des données personnelles de santé dans la société de l'information» (avis n° 13 du 30 juillet 1999), le GEE a mis en évidence certaines valeurs éthiques fondamentales dans le cas des technologies de l’information et de la communication, en particulier:
23 JO L 121 du 1.5.2001, pp. 34 à 44.
L’homme n’est un être ni purement naturel, ni purement culturel. En fait, notre essence même est liée à notre capacité de nous transformer. Sous cet angle anthropomorphique, les technologies de l’information ont été, jusqu’à présent, considérées comme un prolongement de l’être humain. Cependant, la transformation de notre corps a aussi des conséquences sur notre environnement culturel. Selon ces prémisses, l’être humain est considéré comme une composante d’un système complexe de messages naturels et artificiels fonctionnant sur une base numérique. En ce sens, le corps humain peut être vu comme un ensemble de données. Ce point de vue a des effets culturels importants, notamment parce qu’il exclut des phénomènes de haut niveau, comme le psychisme et le langage humains, ou qu’il les conçoit essentiellement dans la perspective de leur numérisation, donnant ainsi lieu à un réductionnisme simplifiant à l'extrême les relations complexes entre le corps, le langage et l'imagination.
Cette vision réductrice ouvre néanmoins aussi la voie à différents types de développements et inventions scientifiques et techniques. Les implants TIC dans le corps humain pourraient ainsi être amenés à jouer un rôle majeur dans les questions de santé, voire conduire à l'amélioration des capacités biologiques et/ou psychiques. Par extrapolation, cette logique pourrait même aboutir à la transformation de l’espèce humaine.
Dès lors, dans quelle mesure devrions-nous nous laisser implanter des dispositifs TIC «sous la peau»? À partir de quand les implants TIC menacent-ils la dignité de l’être humain, son identité et ses capacités fondamentales? On peut avoir le sentiment qu’à l’instar des stimulateurs cardiaques, les implants TIC présentent essentiellement des avantages pour la santé. Cependant, ne pourrait-il y avoir des cas où ils seraient utilisés à d'autres fins, du fait, notamment, de l'interconnexion des données numérisées dans un environnement en réseau? Quand pourraient-ils être utilisés, par exemple, à des fins de surveillance, et dans quels cas un tel usage serait-il légitime? Quels sont les risques contrebalançant les espoirs de capacités fonctionnelles améliorées?
La problématique des implants TIC dans le corps humain se situe donc entre deux extrêmes: d’un côté, la protection du corps humain «naturel», c’est-à-dire l’utilisation des implants TIC à des fins médicales; de l’autre, l’élimination du corps humain tel que nous le connaissons aujourd’hui et son remplacement par un corps artificiel – avec toutes les possibilités qui existent entre les deux. La dignité humaine est propre à l’être humain en tant qu’être incarné. Par conséquent, la question de l’autonomie et du respect de l’individu ne peut être séparée de celle des soins au corps et de la modification possible du corps par implant TIC.
AVIS DU GEE
Eu égard aux considérations qui précèdent, le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies rend l’avis suivant:
6.1. CHAMP D'APPLICATION
Le présent avis se concentre sur la question des implants TIC dans le corps humain. Il ne traite pas du vaste champ des dispositifs TIC ou relevant de l’électronique «vestimentaire» en général, même si, dans certains cas, ces dispositifs sont assimilables à des quasi-implants.
Il n’aborde pas la question des implants TIC chez l’animal, même si ces applications fournissent des exemples de ce qui pourrait être fait chez l’homme.
Il examine les problèmes éthiques posés par l’accessibilité en ligne actuelle ou potentielle des implants TIC, ainsi que par les dispositifs autonomes (c’est-à-dire ceux qui ne sont pas reliés à un réseau).
D’un côté, les principes et règles juridiques servent généralement de garde-fou aux dérives technologiques et à rappeler que tout ce qui est techniquement possible n’est pas nécessairement admissible sur le plan éthique, socialement acceptable, ni légalement approuvé. D’un autre côté, la puissance d’une technologie donnant lieu à une infinité d’applications ne saurait être contrainte par une législation faible, manquant sa finalité ultime. Par conséquent, il est nécessaire de se référer systématiquement à des valeurs fortes, capables d’insuffler de la vie dans la constitutionnalisation de l’individu qui, fruit d’un processus complexe, est clairement soulignée dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – à commencer par le préambule, où il est dit expressément que l’Union «place la personne au cœur de son action».
«We shall not lay hand upon thee» («Nous ne lèverons pas la main sur toi»). Telle était la promesse faite dans la Magna Carta: celle de respecter le corps dans son intégralité (Habeas Corpus). Cette promesse a survécu au progrès technologique. Chaque intervention sur le corps, chaque opération de traitement de données à caractère personnel doit être considérée comme touchant le corps dans son ensemble, comme touchant un individu qui doit être respecté dans son intégrité à la fois physique et mentale. C’est là un nouveau concept global de l’individu, et sa traduction dans la réalité donne le droit de revendiquer le respect total d’un corps qui, aujourd’hui, est à la fois physique et électronique. Dans notre monde actuel, la protection des données à caractère personnel remplit la mission de garantir le «Habeas Data» que rend nécessaire un environnement modifié, devenant ainsi une composante inaliénable de notre civilisation, comme l’a été l’Habeas Corpus.
Parallèlement, on peut considérer que le corps n’est jamais achevé. Il peut être manipulé en vue de la restauration de capacités fonctionnelles qui ont été perdues ou étaient d’emblée manquantes (que l’on songe aux mutilations, à la cécité ou à la surdité); ou il peut être tiré au-delà de sa normalité anthropologique par une amélioration de ses fonctions et/ou l’ajout de nouvelles fonctions (encore une fois, dans un souci de bien-être de la personne et/ou de compétitivité sociale, comme dans le cas de l’optimisation des capacités sportives ou des prothèses d’intelligence artificielle). Nous sommes ainsi confrontés à des technologies capables à la fois de réparer et d’améliorer le corps, à la multiplication de technologies implantables qui pourraient modifier et étendre le concept des soins au corps et annoncer l’avènement du «cyborg» – soit du corps post-humain. «Dans nos sociétés, le corps tend à devenir un matériau brut, qui peut être modelé en fonction des circonstances.» Il ne fait aucun doute que les possibilités de configuration sur mesure se développent, de même que le risque de mesures politiques visant à placer l’individu sous contrôle technologique.
Le fait de réduire le corps humain à une simple machine n’a pas pour unique effet de renforcer la tendance – déjà évoquée – qui consiste à le transformer de plus en plus en un instrument de surveillance permanente de l’individu. De fait, l’individu est alors dépossédé de son propre corps et, par conséquent, de sa propre autonomie. Le corps se trouve placé sous un contrôle exercé par d’autres. Or que peut-on espérer lorsqu’on est dépossédé de son corps?
6.2. IMPLANTS TIC ET DIGNITÉ HUMAINE
Le respect de la dignité humaine doit constituer le fondement de toute discussion relative aux limites à imposer aux différentes utilisations des implants TIC.
Le GEE estime que les implants TIC ne représentent pas, en soi, un danger pour la liberté ou la dignité de l’être humain. Dans le cas d’applications offrant, par exemple, la possibilité d’exercer une surveillance individuelle et/ou collective, il convient toutefois d’évaluer soigneusement les restrictions de liberté potentielles (voir la section 6.4.6). La protection de la santé et/ou de la sécurité des personnes atteintes de troubles neurologiques graves par recours à des implants TIC ne crée pas nécessairement un dilemme éthique entre le caractère inaliénable de la liberté et la nécessité d’une protection médicale. Cependant, même dans ce cas, l’utilisation d’implants TIC ne devrait pas entraîner de discrimination ou d’abus contraire à la santé.
6.3. IMPLANTS TIC À VISÉE MÉDICALE
Il va sans dire que, lorsqu’un implant TIC doit être utilisé à des fins médicales, le consentement éclairé du patient est nécessaire. Les informations fournies à ce dernier ne devraient pas uniquement porter sur les avantages et les risques possibles pour la santé, mais évoquer aussi le risque d'une utilisation de l'implant à des fins de localisation personnelle et/ou d'accès aux données qui y sont enregistrées, sans le consentement du porteur. Lorsque les risques sont difficiles à prévoir, les informations fournies devraient le stipuler clairement.
L’implantation de dispositifs TIC à des fins médicales devrait être régie par les principes suivants:
a) l’objectif est important, comme sauver la vie du patient, le guérir ou améliorer sa qualité de vie;
b) l’implant est nécessaire à la réalisation de cet objectif; et
c) il n’existe pas d’autre moyen d’y parvenir qui soit moins invasif et plus efficace en termes de coût.
Il conviendrait d’accorder une attention particulière à la question des implants bioartificiels, en tenant compte des problèmes qu’ils soulèvent et des possibilités qu’ils offrent.
6.3.1. Individu et réseau
Dans la mesure où un implant TIC peut transformer son porteur en maillon d’un réseau informatique, il convient de prendre en considération le fonctionnement de l’ensemble de ce réseau – et pas uniquement de l’implant. Il est particulièrement important de veiller à ce que le pouvoir exercé sur le réseau (qui y a accès, qui peut en retirer des données, qui peut modifier sa configuration, etc.) soit transparent. Il en va du principe de respect de la personne, ainsi que du principe de minimisation du préjudice.
6.3.2. Liberté de la recherche
Même si la nécessité de la recherche peut parfois être mise en doute, l’acquisition de nouvelles connaissances est essentielle au développement des individus et des sociétés. La liberté de la recherche doit cependant être limitée par d'autres valeurs et principes éthiques importants, comme le respect de la personne et l'obligation d'éviter aux participants à des travaux de recherche tout préjudice physique, mental ou économique.
La notion éthique d’inviolabilité du corps humain ne devrait pas être comprise comme un obstacle au progrès scientifique et technologique, mais comme un garde-fou contre ses dérives possibles.
En l’espèce, la liberté de la recherche devrait être contrainte non seulement par l'obligation d’obtenir le consentement éclairé des personnes se portant volontaires pour participer à de nouvelles expériences à visée curative, mais aussi par la conscience du risque d’infliger des dommages corporels et psychiques aux participants aux essais cliniques (voir l’avis n° 17 du GEE sur les aspects éthiques de la recherche clinique dans les pays en développement, février 2003).
6.3.3. Participation à des projets de recherche sur les implants TIC
Lorsque des recherches visant, par exemple, à explorer les effets des implants TIC sont conduites sur des volontaires sains ou des patients, le consentement éclairé de ces personnes est nécessaire. Les informations fournies auxdites personnes ne devraient pas uniquement porter sur les avantages et les risques possibles pour la santé, mais évoquer aussi les risques à long terme, ainsi que le risque d'une utilisation de l'implant à des fins de localisation personnelle et/ou d'accès aux données qui y sont enregistrées sans le consentement du porteur. Le droit d’interrompre toute participation à un projet de recherche devrait toujours être respecté, et les participants devraient être clairement informés de la manière dont ils pourront concrètement exercer ce droit (dès lors qu’un dispositif électronique leur est implanté dans le corps).
6.3.4. Implants TIC, mineurs et personnes en incapacité légale
Le consentement éclairé est un principe éthique qui s’applique au domaine des implants TIC dans le corps humain. Cependant, ce principe demande à être précisé, notamment dans le cas de personnes qui, en raison de leur âge (enfants, personnes âgées) et/ou de leur état psychique, sont censées être assujetties à des implants TIC à des fins de surveillance médicale: les implants TIC chez les mineurs et les personnes en incapacité légale ne devraient être possibles que sous réserve du respect des principes énoncés dans la Convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine.
Enfin, il conviendrait d’accorder une attention particulière à la question des implants cochléaires chez l’enfant (voir la section 5.2 – conflits de valeurs).
6.3.5. Accès aux implants TIC à visée médicale
Il conviendrait de garantir un accès équitable aux implants TIC à visée médicale. Autrement dit, cet accès devrait être conditionné par les besoins en termes de santé, plutôt que par les ressources économiques ou la position sociale.
6.3.6. Implants TIC irréversibles
Les exigences de consentement éclairé et de protection des données (en particulier, de leur caractère privé et de leur confidentialité) doivent être strictement respectées lorsque l’implant TIC est irréversible, c’est-à-dire ne peut-être retiré du corps du patient sans risque grave pour sa santé ou même sa vie. Les implants irréversibles ne devraient pas être utilisés à des fins de recherche, à moins que la recherche en question n’ait pour objet d’apporter un bénéfice thérapeutique net au porteur.
6.4. IMPLANTS TIC À VISÉE NON MÉDICALE
Les principes de consentement éclairé, de respect de la vie privée, etc. doivent aussi être invoqués au regard du vaste éventail d’applications non médicales que pourraient avoir les implants TIC. Certaines de ces applications sont analysées dans les sections suivantes. D’une manière générale, le GEE soutient que les applications non médicales des implants TIC sont une menace potentielle pour la dignité humaine et la société démocratique. Il faudrait donc veiller à ce qu’elles respectent, en toutes circonstances, les principes de consentement éclairé et de proportionnalité et, chaque fois qu’elles ont la surveillance pour finalité, les règles énoncées à la section 6.4.6.
Le GEE souligne que les informations fournies aux adultes donnant leur consentement éclairé à certaines applications devraient inclure des renseignements clairs sur les éventuels risques pour leur santé à court et/ou long terme, ainsi que sur le risque d'une manipulation des données contre leur gré.
6.4.1. Psychisme et identité personnelle
D’après nombre de théories éthiques, l'identité personnelle joue un rôle crucial dans l’attribution de la responsabilité morale. C’est pourquoi les implants TIC ne devraient pas être utilisés à des fins de manipulation mentale ou de modification de l’identité personnelle. Le droit au respect de la dignité humaine, y compris le droit au respect de l’intégrité physique et mentale, est à la base de ce postulat.
6.4.2. Implants TIC et données à caractère personnel
Les implants TIC pouvant générer des données sur le corps humain, les principes relatifs à la protection des données doivent leur être appliqués. Le caractère privé et la confidentialité des données doivent être respectés. Chaque individu a le droit de déterminer quelles données le concernant doivent être traitées, par qui et dans quel but. Le droit de choisir qui a accès aux données et à quelle fin est particulièrement crucial.
Les droits ci-dessus sont d’autant plus importants lorsque les implants TIC fonctionnent en ligne, notamment dans le cadre de dispositifs de surveillance. En d’autres termes, le GEE souligne l’importance de veiller non seulement à ce que l’individu ait droit à la protection des données le concernant, mais aussi à ce que la société exerce un contrôle tel sur ces dispositifs lorsqu'ils sont autorisés et qu'ils ne puissent devenir source de restrictions inadmissibles des droits fondamentaux, voire entraîner leur négation. Il conviendrait d’y veiller tout particulièrement dans le cas où ils deviendraient partie intégrante de systèmes de santé au sein desquels des données sont occasionnellement ou continuellement communiquées à des tiers. L’utilisation d’implants TIC à des fins de contrôle à distance de la volonté d’autrui devrait être strictement interdite.
Une législation et des orientations ad hoc devraient être élaborées à cet effet. La responsabilité en incombe aux États membres. Le GEE suggère néanmoins que la Commission prenne ici l’initiative (voir la section 6.5.4).
6.4.3. Implants TIC et vie privée
Sous réserve que les implants TIC respectent les principes énoncés dans le présent avis, il n’y a pas lieu de les déclarer. Ils pourraient et devraient rester invisibles aux yeux d’un observateur extérieur. Le droit au respect de la vie privée inclut le droit de porter un implant TIC.
6.4.4. Implants TICs et amélioration des capacités physiques et mentales
Il conviendrait de veiller à ce que les implants TIC ne puissent être utilisés pour créer une société à deux vitesses ou pour creuser le fossé entre les pays industrialisés et le reste du monde. Leur utilisation à des fins d'amélioration des capacités fonctionnelles devrait être réservée aux cas suivants:
• pour faire entrer des enfants ou des adultes dans la frange «normale»24 de la population, à condition qu’ils le souhaitent et sous réserve de leur consentement éclairé; ou
24 Le concept de «normalité» n’est pas précis. L’emploi de ce terme à la section 6.4.4 renvoie toutefois à l'état corporel généralement prédominant, non affecté par une malformation, une maladie ou une déficience génétique et exempt d'anomalies observables.
6.4.5. Implants TIC, commercialisation et intérêts des consommateurs
Alors même que le corps humain, en tant que tel, ne devrait pas être source de profits, divers types d'implants TIC sont déjà commercialisés – comme on l’a vu dans la partie du présent avis consacrée au contexte scientifique. Or il est essentiel de veiller à ce que ces produits ne puissent être lancés sur le marché sans contrôle adéquat. Par exemple, les implants TIC assimilables à des produits médicaux devraient être contrôlés en vertu de la législation pertinente en vigueur. Il conviendrait ainsi de déployer les efforts nécessaires pour que tous les implants TIC soient soumis à un contrôle de sûreté et de sécurité avant commercialisation.
6.4.6. Implants TIC utilisés à des fins de surveillance
Les implants TIC utilisés à des fins de surveillance menacent tout particulièrement la dignité de l’être humain. Une telle utilisation pourrait être le fait d’autorités publiques, d’individus et de groupes cherchant à renforcer leur pouvoir sur les autres. Les implants pourraient servir à localiser des personnes (mais aussi à obtenir d’autres types d’informations les concernant). Ce pourrait être justifié par des raisons de sécurité (libération anticipée de prisonniers) ou de sûreté (localisation d’enfants en état de vulnérabilité).
Le GEE insiste cependant sur le fait que l’utilisation des implants TIC à des fins de surveillance ne saurait être autorisée que si le législateur estime que la société démocratique en a un besoin urgent et justifié (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme) et qu’il n’existe pas de méthode moins intrusive. Le GEE n’y est toutefois pas favorable. Il considère que les applications à visée de surveillance devraient, en toutes circonstances, être inscrites dans la législation. Dans chaque cas individuel, les procédures de surveillance devraient être approuvées et contrôlées par une juridiction indépendante.
Les mêmes principes généraux devraient régir l’utilisation des implants TIC à des fins militaires.
6.5. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
6.5.1. Développement de la société de l'information
Le GEE estime que les questions éthiques soulevées par les implants TIC dans le corps humain sont intimement liées au développement de la société de l’information dans son ensemble. Il soutient fortement l’objectif d’une société de l’information à dimension humaine, inclusive et privilégiant le développement, tel que proclamé dans la Déclaration de principes du Sommet mondial sur la société de l'information (Genève, 2003).
6.5.2. Débat public et information
Un vaste débat social et politique s'impose sur le type d’applications qui devrait être accepté et légalement approuvé, notamment pour ce qui concerne la surveillance et l'amélioration des capacités fonctionnelles. Le GEE recommande une approche prudente. Il incombe aux États membres et à leurs comités nationaux d’éthique (ou institutions équivalentes) de créer les conditions nécessaires à l’éducation ainsi qu’à des débats constructifs et étayés en la matière.
6.5.3. Démocratie et pouvoir
Le présent avis diffère d’un certain nombre d’avis précédents du GEE en ceci qu’il traite d’un domaine nouveau, à croissance rapide. Pour des législateurs européens conscients de leurs responsabilités, il pose les jalons essentiels d’un futur programme de travail.
Le débat public et l’éducation sont indispensables pour garantir la transparence. Il incombe aux États membres de veiller à ce que le pouvoir de développer des implants TIC et la capacité d’y accéder soient régis par des processus démocratiques.
6.5.4. Nécessité d’une réglementation
Il est clair que le domaine des implants TIC dans le corps humain doit être réglementé. À l’heure actuelle, les implants à visée non médicale ne sont pas explicitement couverts par la législation en vigueur, notamment en ce qui concerne le respect de la vie privée et la protection des données. Toute réglementation en la matière doit être fondée sur les principes de dignité humaine, de respect des droits de l’homme, d’équité et d’autonomie, ainsi que sur les principes dérivés de précaution, de minimisation des données, de spécification de la finalité, de proportionnalité et de pertinence (voir les sections 4 et 5).
Du point de vue du GEE, les implants TIC à visée médicale devraient, quant à eux, être réglementés à l’instar de médicaments lorsque l'objectif médical est le même, dans la mesure, notamment, où ces implants ne sont que partiellement couverts par la directive 90/385/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dispositifs médicaux implantables actifs.
Le GEE recommande que la Commission européenne lance des initiatives législatives dans ces domaines d’application des implants TIC.
6.5.5. Recherche d’impact et implants TIC
Il convient de poursuivre les recherches sur l’impact à long terme – sur le plan social, culturel et de la santé – des différents types d’implants TIC, en accordant une attention particulière à la caractérisation, à l’évaluation, à la gestion et à la communication des risques. Le GEE estime que cet objectif devrait orienter le 7e programme-cadre de recherche de l’Union européenne. Dans un domaine à croissance rapide, cette sorte de «recherche de précaution» revêt, en effet, une importance cruciale.
6.5.6. Nécessité d’une révision
Les implants TIC en sont à leurs balbutiements, mais une évolution rapide est en cours, qui soulève autant d’espoirs que de craintes sur le plan sociétal. Le GEE s’est penché sur les grandes questions éthiques que posent les applications actuelles ou d’ores et déjà prévisibles des implants TIC. Il est clair, cependant, qu’il devra actualiser son avis à la lumière de leurs applications nouvelles. Les implants à première vue sans danger (permettant, par exemple, de traiter un grave problème de santé), mais pouvant se révéler moins bénins en cas d’application à d’autres fins, appellent une vigilance particulière. Le GEE estime en conséquence qu’une révision du présent avis pourrait s’imposer d’ici trois à cinq ans.
Le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies Le Président: Göran Hermerén
Les membres:
Nicos C. Alivizatos Inez de Beaufort Rafael Capurro Yvon Englert Catherine Labrusse-Riou Anne McLaren
Linda Nielsen Pere Puigdomenech-Rosell Stefano Rodota
Günter Virt Peter Whittaker